dimanche 26 mars 2017

La métaphore du poulet pas rôti

J’espère ne froisser personne si je rappelle en préambule que l’Homme, qui ne descend pas vraiment du singe, n’est cependant qu’une espèce de primates parmi d’autres. Cette grande famille compte 130 espèces de singes et une seule d’humains : l’homo sapiens sapiens, c'est-à-dire nous, seuls rescapés de la dernière ère glaciaire qui a vu s’éteindre notre cousin Neandertal.
C’est l’australopithèque, considéré comme le premier Homme, qui a entamé il y a 5 millions d’années, la séparation entre les humains et leurs autres cousins primates. Depuis, nous régnons en maîtres absolus sur la terre et aucune autre espèce animale ne conteste notre suprématie.
« Nous » avons appris à marcher, à faire du feu, à nous servir d’outils, à parler… Et surtout nous avons développé une conscience. Et pourtant, si notre cerveau a évolué, notre génome est semblable à 98% à celui du chimpanzé. Nous sommes des humains et nous dominons tous les animaux grâce à notre intelligence, mais nous n’en sommes pas moins constitués de la même matière qu’eux. Après notre mort et même si nous avons tout à fait le droit penser que notre âme s’en échappe, notre corps se dégrade de la même façon que celui de n’importe quel animal. Même si cette idée n’est pas réjouissante, une nouvelle biologie se met en place et tout corps, même humain, commence à se décomposer. C’est inéluctable.
Nous savons tous que nous sommes mortels, mais nous l’oublions à chaque instant parce que cette idée est terrifiante et aussi parce que nous sommes incapables de concevoir notre propre fin. Nous rejetons la mort, la nôtre mais aussi celle de nos proches. Confrontés à la perte d’un être cher, il nous faut traverser une série d’étapes et d’états émotionnels avant de parvenir à l’acceptation. Dominés par nos sentiments qui inhibent notre raisonnement, il nous est impossible d’envisager le défunt en tant que cadavre.
S’il n’est pas question d’expliquer à une famille encore sous le choc de l’annonce du décès, le processus de décomposition dans ses moindres détails, il est en revanche indispensable pour tout conseiller funéraire d’en avoir connaissance. En effet, s’il est chargé d’organiser les obsèques, on lui confie également un corps humain, dont il devient responsable. Il lui appartient donc d’anticiper les problèmes et de proposer des solutions, car elles existent. La plus efficace et la seule qui permette à l’heure actuelle d’exposer un défunt dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité et de laisser de lui une dernière image apaisée et apaisante est la Thanatopraxie, mais on peut également avoir recours à la table réfrigérante, à la rampe, ou tout simplement à la cellule réfrigérée. L’important est de connaître les limites de toutes ces méthodes de conservation.
Il faut bien distinguer la manière dont on doit expliquer le processus de décomposition et les solutions qui permettent de l’enrayer ou simplement de le ralentir aux professionnels qui devront dispenser les meilleurs conseils aux familles et les mots soigneusement pesés et choisis avec lesquels ces mêmes professionnels devront aborder cette question délicate avec les familles.
Il est évident que personne ne rapporte de cadavre humain du supermarché, la métaphore du poulet non vidé me semble donc bien plus parlante. C’est l’argumentaire que j’utilise couramment avec les futurs conseillers funéraires. Laisse-t-on un poulet non vidé à température ambiante ? Non, et bien les conséquences d’une exposition à température ambiante sans aucun traitement sont les mêmes pour un corps humains que pour un poulet. Je pense que tout un chacun est accessible à ce raisonnement, qui relève de la logique la plus élémentaire et qui ne revient en aucun cas à comparer un humain à un poulet, mais simplement à provoquer une prise de conscience. Nous sommes constitués de la même matière que les animaux et nous dégradons de la même manière. C’est un fait, pas une simple vue de l’esprit.
Nous savons tous que notre enveloppe charnelle n’est pas éternelle, mais lorsque nous sommes touchés par un deuil, il nous est impossible de l’entendre. Notez bien que je dis « nous », parce que je m’inclus également. Nous Thanatopracteurs, conseillers funéraires, porteurs ou fossoyeurs, sommes simplement des humains comme les autres. Nous sommes confrontés aux mêmes épreuves tout au long de notre vie et nous devons nous aussi faire face à la perte de nos proches. Lorsque je parle aux familles, je puise simplement dans mon expérience personnelle pour trouver les mots justes.


 Ce n’est pas simple, tout comme de s’aventurer à écrire sur un sujet aussi tabou que la décomposition humaine. C’est très facile d’aller prendre un mot ou une phrase et de les placer en dehors de leur contexte pour leur faire dire n’importe quoi… Décider d’exprimer ses idées, c’est forcément s’exposer. Mais qu’on adhère ou pas à mon propos, il émane de ma propre réflexion, mûrie durant toutes ces années passées à m’occuper des défunts et à essayer de partager mon expérience et de transmettre mes connaissances.

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