Les
thanatopracteurs ne sont ni médecins légistes, ni médecins
généralistes, ni d'aucune autre sorte. Pourtant ils se doivent de
maîtriser un minimum de connaissances médicales pour exercer
correctement leur métier. Durant la formation, il nous faut
apprendre une quantité astronomique de cours, de matières diverses
- anatomie, physiologie, médecine légale, législation,
toxicologie, microbiologie, histologie, etc - mais une, ou plutôt
deux, sont vraiment survolées voire non abordées :
l'anatomo-physiopathologie.
Pourquoi
savoir tout ça ? Pourquoi tant de connaissances sur ce qui a conduit
au décès ? Pourquoi tant d'informations sur la lecture de corps,
qui est le thème de départ de cet espace d'échange. "Nous ne
sommes pas médecins" après tout. N'avez-vous pas déjà
entendu cette phrase ? Pas besoin de savoir d'où vient l'ascite, on
a juste à le ponctionner. Pas besoin de savoir pourquoi ce corps a
un ictère alors que le problème vient du pancréas, on fait notre
injection, ponction et voilà... La robotisation du soin est un fléau
et me paraît tout l'inverse de ce qu'un thanatopracteur doit savoir
faire : analyser et adapter. Ce n'est pas au corps de s'adapter au
soin mais bien l'inverse, systématiquement. Et telle est la richesse
de ce métier. Chaque corps est une nouvelle histoire, une nouvelle
analyse, un soin qui lui sera propre, "personnalisé".
Voilà plusieurs situations qui, je l'espère, vont vous amener à
une certaine réflexion. Les situations décrites ci-dessous ont été
vécues.
Nous
arrivons pour un soin dans les locaux de pompes funèbres après une
découverte de corps. En saluant le personnel, nous remarquons la
présence du certificat de décès sur le bureau, que nous
consultons. Non, non, non... Rien à signaler. A peine, la porte du
labo poussée, il ne nous faut que quelques secondes d'observation
avant de nous regarder mutuellement. Nous paraissons instantanément
d'accord sur le résultat de l'analyse. Corps amaigri, taches noires
et pustules suspectes sur le corps, une quarantaine d'années...
J'enfile une paire de gants et je regarde immédiatement l'intérieur
de la bouche et la langue est blanche... Coïncidence ? Chance ? Pas
vraiment. Les taches noires sont sans l'ombre d'un doute des sarcomes
de Kaposi, les pustules, signe d'affection opportuniste profitant
d'une immuno-déficience certaine, à l'image de la candidose
linguale. Sans parler de la maigreur qui renforce la déduction. Nous
sommes sûrs à 99,9% d'être en présence d'un corps porteur du VIH
et rien n'est mentionné sur le bleu. Imaginez maintenant que vous ne
savez pas reconnaître un sidéen avec signes visibles, donc avancé.
Malheureusement, vous êtes victime d'un accident d'exposition au
sang pendant le soin mais comme vous êtes insouciant, optimiste
et/ou inconscient, en vous disant que ce n'est qu'un corps parmi tant
d'autres, vous ne mettrez pas en place de le protocole qui suit
l'A.E.S. Vous aurez ensuite des rapports sexuels avec votre
partenaire voire plus. Faute de connaissance, même si c'est une
maladie connue, votre vie sera quelque peu modifiée, et vous en
aurez entraîné d'autres avec vous. Et je ne parle pas de
l'érysipèle, des contaminations par gants troués, de peau à peau,
d'ongle à ongle, d'ongle à bouche si vous les rongez, d'ongle à
oeil en vous le frottant, et j'en passe.
J'arrive
pour un soin à domicile sur une personne âgée en lit médicalisé.
Le corps est déjà habillé. La personne qui m'accueille chez elle
est pressée et doit s'absenter le temps du soin. Je me retrouve
rapidement seul sans avoir eu le temps de demander des renseignements
supplémentaires. Comment savoir ? Analyse de l'environnement. Le
corps a été changé de pièce pour la présentation et je ne me
permets pas de fouiller pour obtenir des réponses. Je n'ai pas les
traitements sous les yeux ni le matériel médical qui a été
utilisé pour les soins à domicile. Alors je laisse le défunt me
souffler quelques informations. J'ouvre le gilet et la chemise et
rabats le maillot derrière la tête, je remonte les manches,
descends la jupe, et jette un coup d'oeil dans le change, histoire de
voir s'il faut déjà prévoir de le changer. Le collant est
transparent, je vois à travers l'état des jambes. Résultats ?
Patch exelon, déshydratation, dermite ocre sur phlébite, début
d'escarre, ce qui renforce l'évidence d'un alitement prolongé et
donc de troubles vasculaires, d'insuffisance veineuse. La totalité
des informations réunit me laisse penser que je n'aurai sûrement
pas à utiliser un deuxième bocal pour finir le soin dans sa
totalité, merci l'hypovolémie, que le sang va sûrement être épais
pour la même raison, plein de caillots, genre pâte à crêpe avec
les grumeaux qui vont avec, et que je vais sûrement avoir de la
fibrine à retirer. Avec les personnes âgées qui ont été traitées
pour Alzheimer et qui sont déshydratées, je redouble
particulièrement d'attention avec la peau. Dommage que les pompes
funèbres aient déjà arraché un lambeau au niveau de l'avant-bras
et que la manche de la chemise soit déjà souillée. Sans même
avoir envahi le corps avec mon matériel, j'ai déjà une idée de ce
que je vais trouver et déjà une idée de la façon dont je vais
aborder ce soin pour améliorer l'injection, la diffusion, drainage
et éviter de l'abîmer encore plus.
Un autre
domicile. Une autre personne âgée mais sur la table de présentation
cette fois. Le fils qui vivait avec et s'en occupait me dit qu'elle
est morte de vieillesse. Juste des traitements anti-coagulants, rien
de spécial. Pas d'informations particulièrement intéressantes. Une
fois encore, les jambes affichent comme souvent les signes de
troubles circulatoires. Je n'ai qu'à retirer la chemise de nuit pour
accéder à la nudité du corps, où devrais-je dire à sa richesse.
Turgescence jugulaire, réseau veineux très apparent et assez
gonflé, oedème... Insuffisance cardiaque droite très possible et
donc jugulaire et veines aux alentours gorgées de sang, prêtes à
rompre et à se vider. Un coup de bistouri ou de crochet maladroit et
ça sera les rivières pourpres. A domicile, mieux vaut vraiment
s'éviter ça. Un petit tour du tube de ponction dans l'oreillette
droite pour décongestionner tout ça avant d'inciser ne sera pas
inutile...
Soin en
EHPAD. Je trouve un corps sur une table de présentation avec un
oedème unilatéral léger du côté où la tête penche car cette
dernière n'est pas calée. Aucun cale-tête, aucun coussin.
J'interviens plusieurs heures après la mise sur table. Au moment du
décès dans le lit, la famille n'avait pas constaté de gonflement,
les pompes funèbres non plus au moment du transfert. J'arrive,
l'oedème s'est installé. Le soin n'y fait rien. Lorsque la famille
vient voir son défunt, elle signale le gonflement et les pompes
funèbres laissent sous-entendre que ça vient du soin. J'avais déjà
eu un cas d'oedème unilatéral au niveau du visage avec une tête
non calée, ainsi j'en déduis qu'il y a un lien avec l'oedème et
l'inclinaison de la tête. Si je ne sais pas encore l'expliquer avec
certitude même si je pense qu'il y a un lien avec les lividités qui
s'installent, j'ai au moins réussi à m'innocenter grâce à des
explications médicales.
Les
connaissances peuvent aider dans l'approche du soin, favoriser un
résultat que vous n'auriez pas eu sans ce savoir, vous faire
réfléchir sur l’intelligence ou la bêtise de vos choix, vous
éviter des situations dangereuses et/ou délicates aussi bien en
labo qu'à domicile, vous permettre d'expliquer que votre soin n'est
pas à l'origine d'un problème sur un corps, de savoir démontrer le
pourquoi du comment par A + B, et j'en oublie. Alors oui, "nous
ne sommes pas médecins" et les connaissances poussées que nous
pouvons développer et avoir en commun ne puisent pas leur intérêt
dans l'orgueil mais simplement dans l'essence de ce qui fait notre
métier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire